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L’alexithymie : quand les émotions restent floues

Oeufs avec des dessins de visage représentant des émotions

"Je ressens quelque chose, mais je ne sais pas quoi."
"Je suis mal, mais je n’arrive pas à mettre de mots sur ce que je vis."

Ces phrases sont fréquentes chez les personnes qui souffrent d’alexithymie. Loin d’être un simple manque de vocabulaire émotionnel, cette difficulté à identifier, différencier et exprimer ses émotions peut affecter profondément la vie intérieure, les relations et l’équilibre psychique.

Dans cet article, nous explorerons ce qu’est l’alexithymie, comment elle se manifeste, quelles en sont les origines possibles, et comment un accompagnement thérapeutique peut permettre de mieux comprendre ses ressentis et de se reconnecter à soi-même.

L’alexithymie, qu’est-ce que c’est ?

Une difficulté à identifier et exprimer ses émotions

Le mot “alexithymie” vient du grec a- (absence), lexis (mot), et thymos (émotion ou sentiment). Littéralement, cela signifie “absence de mots pour les émotions”.

Les personnes concernées ne sont pas dénuées d’émotions, mais elles ont du mal à :

  • Identifier ce qu’elles ressentent
  • Différencier les émotions entre elles (tristesse, colère, peur…)
  • Exprimer verbalement leur état émotionnel
  • Connecter leurs ressentis à des situations de vie ou à des souvenirs

Cette difficulté peut s’accompagner d’un mode de pensée très rationnel, tourné vers l’action, et d’un appauvrissement de l’imaginaire ou de la vie intérieure.

Une condition plus fréquente qu’on ne le pense

On estime que l’alexithymie toucherait entre 10 et 15 % de la population, à des degrés divers. Elle peut être temporaire (liée à un traumatisme ou à une période difficile), ou plus structurelle (ancrée dans la personnalité depuis longtemps).

Elle peut concerner aussi bien les hommes que les femmes, bien que les normes culturelles rendent souvent plus acceptable chez les hommes une forme de détachement émotionnel.

Comment reconnaître l’alexithymie ?

Voici quelques signes caractéristiques, à observer avec précaution et sans jugement :

Au niveau émotionnel

  • Difficulté à nommer ce que l’on ressent
  • Confusion entre émotions et sensations physiques (ex. : “j’ai mal au ventre” au lieu de “je suis angoissé·e”)
  • Appauvrissement du vocabulaire émotionnel (“ça va”, “ça ne va pas”, sans plus de nuances)
  • Sentiment de “vide intérieur” ou d’indifférence apparente

Dans les relations

  • Difficulté à exprimer ses besoins affectifs
  • Malaises dans l’intimité émotionnelle
  • Réactions perçues comme froides ou détachées par l’entourage
  • Problèmes de communication ou de compréhension mutuelle dans le couple ou la famille

Sur le plan corporel

Les émotions non exprimées peuvent se somatiser, c’est-à-dire se traduire par des symptômes physiques :

  • Troubles digestifs
  • Tensions musculaires
  • Fatigue chronique
  • Troubles du sommeil

Quelles sont les origines de l’alexithymie ?

Une origine développementale

L’alexithymie peut prendre racine dès l’enfance, notamment si l’enfant :

  • A grandi dans un environnement où les émotions n’étaient pas reconnues ou valorisées
  • A été exposé à des parents peu disponibles affectivement ou eux-mêmes alexithymiques
  • A appris à taire ses émotions pour s’adapter ou survivre (dans des contextes de conflit, de négligence, de violence…)

Dans ces cas, l’expression émotionnelle n’a pas été modélisée, et les repères affectifs n’ont pas pu se construire de manière suffisamment sécurisante.

Des facteurs de protection devenus obstacles

Chez certaines personnes, l’alexithymie peut être une stratégie de protection contre la souffrance. Ne pas ressentir ou ne pas nommer permet d’éviter de revivre des douleurs trop intenses.

Mais à long terme, ce mécanisme peut freiner la connaissance de soi, nuire à l’équilibre relationnel et favoriser des troubles somatiques ou psychiques (dépression, isolement, burn-out…).

D’autres facteurs possibles

Des études évoquent aussi des facteurs neurologiques, des différences de développement cérébral (notamment dans la zone du cortex préfrontal) ou une coexistence avec des troubles comme l’autisme, l’anxiété, ou la dépression.

Pourquoi est-il important d’en parler ?

Pour mieux se comprendre

Vivre avec l’alexithymie peut être source de frustration, d’incompréhension de soi, et de sentiment de décalage. Parfois, on se sent “insensible”, alors qu’en réalité les émotions sont présentes, mais non traduites dans le langage.

Pour préserver ses relations

Dans le couple ou la famille, la difficulté à verbaliser ses ressentis peut entraîner des malentendus, des tensions, voire des ruptures. L’autre peut se sentir mis à distance, voire rejeté.

Comprendre ce fonctionnement émotionnel permet de rétablir plus de clarté et de lien dans la communication.

Pour prévenir les troubles associés

L’alexithymie est souvent présente dans le contexte de troubles psychosomatiques, de dépression masquée, d’addictions, ou de stress chronique. Elle agit comme un frein à l’autorégulation émotionnelle.

En apprendre davantage sur ses émotions, les ressentir et les nommer est une démarche profondément thérapeutique.

Comment un accompagnement thérapeutique peut-il aider ?

L’alexithymie n’est pas une fatalité. Il est possible, à tout âge, d’apprendre à se relier à son monde émotionnel et à développer une plus grande fluidité affective. Voici quelques axes de travail en thérapie :

Mettre des mots sur les sensations

Le travail commence souvent par accueillir les sensations corporelles : tensions, chaleur, oppression, fatigue… Le corps est souvent le premier messager des émotions.

Petit à petit, on apprend à associer ces sensations à des ressentis émotionnels : stress, tristesse, joie, colère…

Explorer son histoire affective

Comprendre dans quel contexte émotionnel on a grandi, ce qui a été possible ou non dans l’expression des sentiments, permet de dénouer certains blocages.

Cela ouvre la voie à une forme de réconciliation avec soi-même : “Si j’ai du mal à dire ce que je ressens, ce n’est pas parce que je suis froid·e ou insensible. C’est un mécanisme que j’ai appris pour me protéger.”

Enrichir son vocabulaire émotionnel

La thérapie peut proposer des outils concrets pour identifier et différencier les émotions :

  • Listes d’émotions classées par intensité
  • Journal émotionnel quotidien
  • Visualisation ou mise en scène symbolique
  • Cartes ou jeux émotionnels (notamment en thérapie familiale ou de couple)

Expérimenter une relation authentique et sécurisante

Le cadre thérapeutique offre un espace contenant et bienveillant, où il devient possible d’oser dire, même maladroitement. Le regard non jugeant du thérapeute permet d’apprivoiser ses émotions sans peur d’être rejeté·e.

Quelques pistes à explorer en dehors de la thérapie

Même hors du cadre thérapeutique, vous pouvez entamer un chemin vers une meilleure compréhension émotionnelle. Voici quelques suggestions :

  • Tenir un carnet de bord dans lequel vous notez vos ressentis, vos réactions, vos sensations
  • Lire des romans ou regarder des films qui explorent les émotions, et vous interroger sur ce que vous ressentez
  • Pratiquer la méditation de pleine conscience, qui aide à développer l’attention au corps et aux pensées
  • Utiliser des supports visuels comme les “roues des émotions” pour élargir votre vocabulaire émotionnel
  • Partager, dans un cadre sécurisé, ce que vous vivez, même si cela semble flou ou maladroit au départ

L’alexithymie n’est ni une maladie, ni un défaut. C’est une manière de fonctionner qui a souvent pris racine dans une histoire personnelle où les émotions ont été peu ou mal accueillies. Elle peut être un appel à se reconnecter à soi, à son corps, à sa vie intérieure.

Avec de la patience, de la bienveillance envers soi-même, et parfois un accompagnement thérapeutique, il est possible de retrouver une clarté émotionnelle, de mieux communiquer ses ressentis, et d’ouvrir un espace de lien plus profond avec les autres.